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L’ÉVOLUTION DU MAGASIN – 1900-1939

1900 – 1939
L’art de l’émotion

Le début du XXe siècle a été une période d’innovation pour les magasins de détail, qui ont franchi une nouvelle étape dans le parcours d’achat indépendant du client, apparu à la fin du siècle précédent. Peu après la fin de la Première Guerre mondiale, l’ambiance était à l’explosion des sens. On assiste à l’avènement d’un nouveau format d’achat, le “supermarché”, tandis que les détaillants de toutes sortes se plongent dans l’amélioration de l’atmosphère de leur magasin : l’expérience du client devient émotionnelle.

Plongez dans les magasins de l’époque avec notre playlist du début du 20e siècle !

Vente au détail émotionnelle

L’émotion et les sens ont toujours été intrinsèquement liés à la qualité de l’expérience du client dans le commerce de détail. Au XIXe siècle, ce concept a pris de l’ampleur avec l’apparition des grands magasins. Grâce à leur taille, à leur gamme de produits et à l’utilisation de la principale innovation technologique de l’époque : l’électricité, les grands magasins ont réussi à enthousiasmer les clients et à jeter les bases du commerce de détail en dur tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le grand magasin a également été chargé d’établir un lien inédit entre l’art et le commerce, plaçant ainsi l’émotion et les éléments sensoriels comme principaux moteurs de l’expérience client.

La séduction a toujours été un élément important du consumérisme et un homme qui ne le savait que trop bien était le magnat américain de la vente au détail Harry Gordon Selfridge. Ouvert à Londres en 1909, Selfridges offrait (et offre encore aujourd’hui) aux clients éblouis un labyrinthe d’étages avec des centaines de départements, sans oublier les restaurants, un jardin sur le toit, des salles de lecture et d’écriture, des espaces d’accueil pour les visiteurs étrangers, une salle de premiers soins et, surtout, une petite armée d’assistants compétents qui s’occupent des étages.

Les toilettes et les salons spacieux et bien aménagés des magasins de l’époque rapprochent le commerce de détail des cercles féminins. Au début du 20e siècle, Les salons de coiffure font leur apparition, suivis de cours pour apprendre à se coiffer, à se maquiller et à marcher avec élégance. Vêtements sur mesure, salons de la robe de mariée et défilés de mode a permis d’attirer une clientèle encore plus aisée qui avait auparavant dédaigné les grands magasins et leur offre de produits.

Selfridge a beaucoup fait pour que le grand magasin devienne une destination plutôt qu’un simple grand magasin bien achalandé. L’objectif était de faire en sorte que le client vive une expérience enrichissante, qu’il navigue et, surtout, qu’il dépense de l’argent dans le magasin le plus longtemps possible.

Sous les néons !

Vers la fin du XVIIIe siècle, on voit apparaître à Londres les premières vitrines modernes, grâce à l’industrialisation du verre et à la généralisation de l’électricité. Depuis, la vitrine est devenue un outil important pour améliorer l’expérience du client pour les détaillants et un levier efficace pour la croissance des ventes. Il suffit de passer devant les vitrines des Galeries Lafayette à Paris ou de Harrods à Londres, surtout au moment de Noël, pour se rendre compte de la puissance de cette stratégie de marketing qui attire chaque année des foules d’admirateurs pour admirer ces œuvres d’art inventives.

Dès 1910, avec le brevetage de l’enseigne au néon, les devantures des magasins se parent de lumière pour attirer les clients et gagner en visibilité à la tombée de la nuit, encourageant et permettant aux passants de faire du lèche-vitrine jusqu’au soir. L’approche théâtrale consistant à utiliser les vitrines comme des spectacles pour attirer les consommateurs dans les magasins a été renforcée par des mannequins de cire réalistes qui ont remplacé les simples présentoirs et les mannequins sans tête ni membres utilisés jusqu’alors dans les magasins de détail. Des firmes parisiennes comme “Siegel & Stockman” et “Pierre Imans” proposent des mannequins aux membres articulés qui peuvent prendre des poses très proches de celles des personnes qui les regardent. Les étalagistes peuvent désormais concevoir des mises en scène évoquant des situations réalistes avec des mannequins comme acteurs.

Le marketing revient à l’essentiel

Cependant, la vitrine n’est pas le seul moyen visuel d’attirer les clients vers les points de vente ; en effet, la publicité commence à prendre une nouvelle forme, dépassant le simple cadre des prospectus distribués au pied des magasins. En 1908, par exemple, les grands magasins Mitsukoshi ont installé un panneau d’affichage au sommet du mont Fuji, proclamant qu’ils étaient le premier grand magasin du Japon !

La publicité devient un nouveau domaine d’activité, désormais étudié par des spécialistes et donnant naissance à une nouvelle profession qui commence à en théoriser les grandes lignes. C’est également au cours de ces années que les premiers cours ont commencé à être proposés aux étudiants des écoles de commerce les plus célèbres du monde. L’expérience client et le parcours d’achat, par le biais de ce nouvel intermédiaire, ne commençaient plus par le magasin, mais par l’attraction de clients potentiels dans la rue et à leur domicile.

Le libre-service sous les feux de la rampe

À l’instar des grands magasins, les épiciers, confrontés à des consommateurs devenus autonomes dans leur parcours d’achat, se sont tournés vers l’optimisation de la gestion des flux dans le secteur de la distribution alimentaire afin de vendre “en masse”. En 1916, à Memphis (Tennessee), Clarence Saunders crée la première épicerie en libre-service. Ce premier “Piggly Wiggly” est à l’origine de nombreuses caractéristiques que l’on retrouve dans les supermarchés modernes, notamment le libre-service, les allées, les caisses, les prix des articles individuels et les caddies.

Le magasin a été aménagé de manière à ce que les acheteurs suivent un parcours continu qui les amène devant tous les produits vendus par le magasin. Saunders a reçu des brevets pour le “Self-Serving Store”, la conception du magasin, les étiquettes de prix individuelles sur les articles et le ticket de caisse imprimé. En 1923, les États-Unis comptaient 1 267 magasins Piggly Wiggly. Il s’agissait d’une nouvelle étape dans la révolution de l’expérience client en magasin.

L’arrivée du supermarché

 

Au terme d’une Première Guerre mondiale sanglante, les pays européens sont en pleine reconstruction, tandis que l’économie américaine est en plein essor. Dans le secteur de la distribution, la logique de gestion des flux s’est généralisée, alimentée par les théories tayloriennes et les principes de division du travail. Dans le cadre de ces progrès logistiques, le premier véritable supermarché des États-Unis a été créé par un ancien employé de Kroger, Michael J. Cullen. Cullen a ouvert le premier magasin King Kullen le 4 août 1930, dans un garage désaffecté situé à Jamaica, dans le Queens, à New York.

Les innovations de Kullen comprenaient des rayons alimentaires séparés, un parking et la vente de grandes quantités de nourriture à des prix réduits. Le slogan des magasins King Kullen était “Pile it high. Vendez-le à bas prix”. En 1936, il y avait 17 supermarchés King Kullen qui gagnaient plus de 6 millions de dollars par an. Au cours des dix années suivantes, ces nouveaux supermarchés ont commencé à évincer les épiceries familiales dans tout le pays, car ils pouvaient proposer des produits alimentaires à des prix plus bas grâce à leur pouvoir d’achat beaucoup plus important.

Le parcours d’achat du client est désormais complètement indépendant, et l’époque des primeurs pour les fruits et légumes, des bouchers pour la viande, des poissonniers pour le poisson et des magasins de produits secs pour le savon et les produits d’entretien est révolue. Ce qui a permis à l’évolution de se faire aussi rapidement, c’est la politique de prix attractifs des supermarchés qui a attiré une foule nombreuse, notamment issue des milieux populaires. Le supermarché est né et ne cesse de se développer. En 1934, on compte déjà 94 supermarchés, puis 1200 en 1936, répartis dans 95 villes américaines !

L’Europe, encore en ruine, a préféré concentrer ses efforts sur le secteur du commerce de détail, auquel elle a appliqué des concepts de plus en plus marketés. Mais le supermarché ne tarde pas à traverser l’Atlantique et, le 1er décembre 1931, le premier Prisunic ouvre ses portes rue Caumartin à Paris. Le concept est le même que celui de Cullen’s : un magasin populaire vendant des produits de masse à bas prix. C’est aussi à cette époque, simultanément aux Etats-Unis et en France, que quelques pionniers jettent les bases d’un système associatif qui donnera plus tard naissance au concept de franchise.

Muzak, Maestro !

À cette époque, le marketing sensoriel faisait ses débuts en tant que concept de marketing en magasin. Au début des années 1920, George Owen Squier, scientifique américain, inventeur et officier de la Signal Corp, a découvert une méthode de transmission d’informations par fils électriques et a réalisé que cette nouvelle méthode pouvait être utilisée pour distribuer de la musique. Squier a obtenu plusieurs brevets pour ses idées, réalisant que la transmission par fil avait un grand potentiel pour diffuser de la musique à un large public. Il a vendu ces brevets à un conglomérat de services publics appelé North American Radio Company, et une nouvelle société a été créée sous le nom de Wired Radio Inc. Le plan consistait à vendre des abonnements musicaux aux clients existants de la compagnie d’électricité. En 1934, le service d’abonnement musical connu sous le nom de Muzak a été créé (il a ensuite été racheté par Mood Media).

À la fin de l’année 1934, Muzak commence à commercialiser ses services de musique d’ambiance facile à écouter dans les magasins, les bureaux et même les usines, afin d’accompagner les travailleurs pendant leur journée de travail. L’expérience du client, et même celle de l’employé, a commencé à prendre une nouvelle dimension sensorielle grâce à la musique.

Pour résumer, l’expérience client devient émotionnelle

Le début du XXe siècle, marqué par la Première Guerre mondiale, a vu le développement de l’expérience client se poursuivre tant dans le secteur du commerce de détail que dans celui de la distribution alimentaire, en proposant différentes manières de faire ses courses. Oubliez le parcours d’achat du consommateur qui commence au point de vente, cette période a marqué un changement qui a vu le parcours commencer directement au domicile du consommateur : une publicité dans un magazine l’attire dans la rue, une belle vitrine l’incite à entrer dans le magasin et, enfin, la facilité du libre-service ou le confort et le plaisir offerts par l’expérience en magasin le convainquent d’effectuer un achat. L’expérience client n’est plus seulement physique, elle vient d’intégrer un nouveau facteur clé : l’émotion !